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Tentons l’Tantra !

Court extrait du mémoire de Michel Sokolov, université du Québec à Montréal, Sciences des Religions, mai 2016, DÉFINIR LE PHÉNOMÈNE TANTRIQUE EN INDE : CONCEPTIONS ET PERSPECTIVES DE TROIS AUTEURS CONTEMPORAINS.

Cela mérite une lecture complète pour parvenir à l’extase et la libération. Suivre le lien.

Le thème de l’homologie homme-cosmos, attesté à des degrés différents autant par Mircea Eliade, Narendra Nath Bhattacharyya que par André Padoux comme un héritage védique et postvédique, est le fondement même de la conception tantrique du corps humain. Les trois auteurs démontrent qu’il s’agit du point de départ du sãdhana (> réalisation, accomplissement, à ne pas confondre avec la jolie actrice indienne Sadhana Shivdasani ) tantrique. Ils mentionnent clairement la déification du corps humain – Bhattacharyya insiste sur l’absence d’idolâtrie et d’un dieu tout-puissant supérieur à toute la création et affirme que rien n’existe en dehors du corps pour le tãntrika ; Eliade souligne que l’éloge du corps dans le tantrisme est sans précédent dans toute l’histoire spirituelle de l’Inde ; Padoux met en évidence la création d’un culte totalement nouveau, ãtmapujã (> réaffirmer le corps humain, l’identifier comme seul instrument du salut, le déifier et lui vouer un culte) commun à toutes les traditions tantriques.

Les nombreuses techniques psychosomatiques et l’énorme importance de l’iconographie témoignent du développement d’un riche ensemble de pratiques, visant à éveiller la force cosmique dans le corps de l’adepte – imaginée comme l’énergie féminine sacrée, les écrits tantriques la nomment Kundalini. Se déplaçant à travers des canaux subtils, appelés nãdi, et « ouvrant » les centres de puissance, les chakras, la Kundalini est propulsée en haut par le yogin vers le point sahasrãra (> lotus aux mille pétales, au sommet du crâne), où aura lieu l’union ultime avec le principe masculin, Shiva. Intrinsèquement liée à la conception d’ãtmapüjã, la physiologie subtile du yoga tantrique est sans doute une des parties les plus reconnaissables de tout le phénomène tantrique.

Pourtant, c’est aussi celle qui a subi, et subit toujours, le plus d’exagérations, de déformations et d’appropriations non fondées. C’est pour cette raison que son analyse, à mon avis, n’est point le moyen le plus approprié pour remédier au problème définitoire ; il faut, dans le cadre de ma problématique de recherche, rester plus près des sources du phénomène tantrique, laissant de côté les appropriations modernes. Aussi faut-il souligner que la majorité des traditions contemporaines du Kundalini-yoga ne se réfèrent que très peu aux écrits tantriques qui constituent pourtant la base des conceptions hatha-yogiques. Lorsque l’on parle de « physiologie subtile » ou de « physiologie mystique », il ne faut pas oublier qu’il ne s’agit que d’une image, d’une visualisation, tout comme le reste des visualisations du sãdhana tantrique. Critiquant l’usage du terme « corps subtil », Padoux rappelle qu’il est question d’une « structure somatique imaginale [ … ] créée par la pensé du yogin » ; il propose d’utiliser plutôt les termes « corps yogique » ou « corps imaginal » ….

Le recours à maithuna (> l’union sexuelle rituelle), dans les traditions tantriques, peut s’expliquer, selon Padoux, soit par la recherche de la puissance (la femme incarne l’énergie universelle, Sakti, que l’adepte masculin aspire à s’approprier), soit par un désir de dépassement de la condition humaine, de fusion avec la divinité. On se tient donc au même schéma de bhukti-mukti – (> l’adepte tantrique ne recherche pas seulement la connaissance salvatrice, mais l’autonomie, la puissance. Il demeure dans le monde et le domine) …. J’aimerais affirmer, en accord avec les observations de Padoux, que les textes tantriques mettent très clairement l’accent sur la visée transcendantale, sur la recherche de la liberté. Bien que l’acquisition de siddhi (pouvoirs miraculeux) et l’appropriation de l’énergie soient des thèmes chers aux auteurs tantriques médiévaux, elles ne sont valorisées que comme faisant partie du chemin vers la délivrance. D’ailleurs, le but ultime de tout sãdhana tantrique – des sectes les plus transgressives (Kula, Krama) aux traditions les plus proches de l’orthodoxie (Saiva Siddhãnta, Pancarãtra) – est le même que celui de toutes les religions indiennes.

Padoux insiste sur le fait que le sexe tantrique rituel, qu’il soit privé ou collectif (orgiastique), n’est jamais une recherche du plaisir (zut !). La perspective hédoniste est absente pour faire place aux aspirations spirituelles. Se fondant sur le texte de Tantrãloka de l’érudit cachemiri Abhinavagupta, Padoux souligne qu’il y a une grande variété de rites sexuels à l’intérieur même d’une école. Ces rites sont souvent structurés en fonction du niveau d’avancement du sãdhaka, certaines pratiques n’étant réservées qu’à un minuscule nombre d’initiés. Le caractère ésotérique de plusieurs cultes shivaïtes du Cachemire est accompagné d’une attitude orthodoxe exotérique de la part des adeptes. Mettant en évidence l’évolution de l’usage de maithuna, Padoux affirme que l’on peut observer une certaine « domestication » progressive des rites sexuels. La dimension principale, lorsqu’il est question d’usage de pratiques sexuelles dans le tantrisme, est la transgression des normes. Le sexe rituel tantrique est, dans la plupart des cas, transgressif. Il permet au tãntrika de se connecter avec les forces non-disciplinées et non-réprimées (caractéristiques du modèle brahmanique), avec les énergies de l’obscurité et du chaos. L’usage rituel du pouvoir transgressif est plus ancien que le phénomène tantrique, note Padoux, comme le témoignent les pratiques des sectes shivaïtes pré-tantriques Kapalika et Lakula. En Inde, comme ailleurs dans le monde, la transgression faisait partie des rites érotiques depuis la plus haute antiquité….

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