Latest Posts

Inscrivez-vous..

Le Yoga de l’Œuvre

Traduction (dont je ne sais plus l’auteur) d’un passage essentiel de la Bhagavad-Gita, “le chant du Bienheureux”. Pour rappel, la Bhagavad-Gita est une partie centrale du Mahabharat, poème épique et saga mythico-historique, daté d’entre le Ve et le IIe siècle av. J.C., relatant les disputes et les guerres fratricides entre deux branches d’une même famille princière, les Pandava et leurs cousins, les Kaurava, pour la conquête du pays des Arya, que l’on situe au nord du Gange.

La Bhagavad-Gita raconte l’enseignement que Krishna (avatar de Vishnou, identifié comme une manifestation du Brahman), dispense, à l’orée d’une bataille, à Arjuna, prince de la famille des Pandava, en proie au doute devant le risque d’entraîner la mort des membres de sa propre famille, les Kaurava, l’armée opposée.

Le texte témoigne du passage de la religion védique, dans laquelle la relation avec la divinité s’établit par le biais de rites partagés collectivement, à une religion où le fidèle s’éprouve lui-même dans une relation personnelle à la divinité : c’est l’apparition de la bhakti (bhakti yoga), yoga de la dévotion, qui va impliquer, pour chacun personnellement, la voie de la connaissance, Jnana yoga et la question de l’action juste, donc la question de l’éthique, le Karma yoga.


Arjuna

Si, à tes yeux, guerrier redoutable, la raison est meilleure que l’action, pourquoi donc m’engager à une action affreuse ? Mon esprit est comme troublé par tes discours ambigus. Énonce une règle unique et précise par laquelle je puisse arriver à ce qui vaut le mieux.

Le Bienheureux (Krishna)

En ce monde, il y a deux manières de vivre ; je te l’ai dit, prince sans péché : les rationalistes contemplateurs s’appliquent à la connaissance ; ceux qui pratiquent l’Union s’appliquent aux œuvres. Mais, en n’accomplissant aucune œuvre, l’homme n’est pas oisif pour cela ; et ce n’est pas par l’abdication que l’on parvient au but de la vie ;

Car personne, pas même un instant, n’est réellement inactif ; tout homme, malgré lui-même, est mis en action par les fonctions naturelles de son être. Celui qui, après avoir enchaîné l’activité de ses organes, se tient inerte, l’esprit occupé des objets sensibles et la pensée errante, on l’appelle faux-dévot ;

Mais celui qui, par l’esprit, a dompté les sens et qui met à l’œuvre l’activité de ses organes pour accomplir une action, tout en restant détaché, on l’estime, Arjuna.

Fais donc une œuvre nécessaire ; l’œuvre vaut mieux que l’inaction ; sans agir, tu ne pourrais pas même nourrir ton corps. Hormis l’œuvre sainte, ce monde nous enchaîne par les œuvres. Cette œuvre donc, fils de Kuntî, exempt de désirs, accomplis-la.

Lorsque jadis le Souverain du monde produisit les êtres avec le Sacrifice, il leur dit :

« Par lui multipliez ; qu’il soit pour vous la vache d’abondance ; Nourrissez-en les dieux, et que les dieux soutiennent votre vie. Par ces mutuels secours, vous obtiendrez le souverain bien ; Car, nourris du sacrifice, les dieux vous donneront les aliments désirés. Celui qui, sans leur en offrir d’abord, mange la nourriture qu’il a reçue d’eux, est un voleur. Ceux qui mangent les restes du Sacrifice sont déliés de toutes leurs fautes, mais les criminels, qui préparent des aliments pour eux seuls, se nourrissent de péché.

En effet, les animaux vivent des fruits de la terre ; les fruits de la terre sont engendrés par la pluie ; la pluie, par le Sacrifice ; le Sacrifice s’accomplit par l’Acte. Or, sache que l’Acte procède de Brahmâ, et que Brahmâ procède de l’Éternel. C’est pourquoi ce Dieu qui pénètre toutes choses est toujours présent dans le Sacrifice.

Celui qui ne coopère point ici-bas à ce mouvement circulaire de la vie et qui goûte dans le péché les plaisirs des sens, celui-là, fils de Prithâ, vit inutilement. Mais celui qui, heureux dans son cœur et content de lui-même, trouve en lui-même sa joie, celui-là ne dédaigne aucune œuvre ; Car il ne lui importe en rien qu’une œuvre soit faite ou ne le soit pas, et il n’attend son secours d’aucun des êtres.

C’est pourquoi, toujours détaché, accomplis l’œuvre que tu dois faire ; car, en la faisant avec abnégation, l’homme atteint le but suprême. C’est par les œuvres que Janaka et les autres ont acquis la perfection. Si tu considères aussi l’ensemble des choses humaines, tu dois agir. Selon qu’agit un grand personnage, ainsi agit le reste des hommes ; l’exemple qu’il donne, le peuple le suit.

Moi-même, fils de Prithâ, je n’ai rien à faire dans les trois mondes, je n’ai là aucun bien nouveau à acquérir ; et pourtant, je suis à l’œuvre. Car si je ne montrais une activité infatigable, tous ces hommes qui suivent ma voie, toutes ces générations périraient ; Si je ne faisais mon œuvre, je ferais un chaos, et je détruirais ces générations.

De même que les ignorants sont liés par leur œuvre, qu’ainsi le sage agisse en restant détaché, pour procurer l’ordre du monde. Qu’il ne fasse pas naître le partage des opinions parmi les ignorants attachés à leurs œuvres ; mais que, s’y livrant avec eux il leur fasse aimer leur travail.

Toutes les œuvres possibles procèdent des attributs naturels (des êtres vivants) ; celui que trouble l’orgueil s’en fait honneur à lui-même et dit : « J’en suis l’auteur » ; Mais celui qui connaît la vérité, sachant faire la part de l’attribut et de l’acte, se dit : « C’est la rencontre des attributs avec les attributs », et il reste détaché.

Ceux que troublent les attributs naturels des choses s’attachent aux actes qui en découlent. Ce sont des esprits lourds qui ne connaissent pas le général. Que celui qui le connaît ne les fasse pas trébucher.

Rapporte à moi toutes les œuvres, pense à l’Ame suprême ; et, sans espérance, sans souci de toi-même, combats et n’aie point de tristesse. Les hommes qui suivent mes commandements avec foi, sans murmure, sont, eux aussi, dégagés du lien des œuvres. Mais ceux qui murmurent et ne les observent pas, sache que, déchus de toute science, ils périssent privés d’intelligence.

Le sage aussi tend à ce qui est conforme à sa nature ; les animaux suivent la leur. A quoi bon lutter contre cette loi ? Il faut bien que les objets des sens fassent naître le désir et l’aversion. Seulement, que le sage ne se mette pas sous leur empire, puisque ce sont ses ennemis. Il vaut mieux suivre sa propre loi, même imparfaite, que la loi d’autrui, même meilleure ; il vaut mieux mourir en pratiquant sa loi : la loi d’autrui a des dangers. »

Arjuna

– Mais, ô Pasteur, par quoi l’homme est-il induit dans le péché, sans qu’il le veuille, et comme poussé par une force étrangère ?

Le Bienheureux

– C’est l’amour, c’est la passion, née de l’instinct ; elle est dévorante, pleine de péché ; sache qu’elle est une ennemie ici-bas.

Comme la fumée couvre la flamme, et la rouille le miroir, comme la matrice enveloppe le fœtus, ainsi cette fureur couvre le monde. Éternelle ennemie du sage, elle obscurcit la science. Telle qu’une flamme insatiable, elle change de forme à son gré. Les sens, l’esprit, la raison, sont appelés son domaine. Par les sens, elle obscurcit la connaissance et trouble la raison de l’homme. C’est pourquoi, excellent fils de Bhârata, enchaîne tes sens dès le principe, et détruis cette pécheresse qui ôte la connaissance et le jugement.

Les sens, dit-on, sont puissants ; l’esprit est plus fort que les sens ; la raison est plus forte que l’esprit. Mais ce qui est plus fort que la raison, c’est elle. Sachant donc qu’elle est la plus forte, affermis-toi en toi-même, et tue un ennemi aux formes changeantes, à l’abord difficile.

POST A COMMENT