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Des mots pour le dire…

Pour que les indianistes ne soient pas en reste de notre sacre du printemps adressés aux sinophiles, voici un texte d’une délicatesse extrême et d’un érotisme tout en suggestions qui nous a, pour notre part, ravi en extases. On se surprend à la nostagie d’un temps ou la transparence des voiles, l’éclat des regards et la subtilités des mots étaient le véhicule de l’amour plutôt que les messages texte des téléphones portables. On y ajoute quelques illustrations dont on ne s’excuse en rien de ce qu’elle soient osées. C’est le printemps! Peste de ce monde qui nous étouffe à ne plus rien avoir à faire qu’à se contrôler!

L’une des œuvres majeures de la poésie lyrique sanskrite porte le nom d’Amaru-Shataka (amarusataka), c’est-à-dire les « Cent Poèmes attribués à Amaru ». Il s’agit d’une série de strophes de mètres variés, dont chacune tend à l’autonomie, comme il est de règle en sanskrit, qui sont composées et disposées selon un art parfait et visent à susciter chez le lecteur des émotions diverses mais ont toutes pour point de départ une situation (ou une image) à caractère érotique. yoga

 

On retrouve à ce sujet les éléments d’une controverse qui se rencontre fréquemment lorsqu’il s’agit d’interpréter les œuvres artistiques (musique, sculpture, poésie) d’inspiration hindoue : pour les uns, elles ne sont que la manifestation du plaisir amoureux, sous sa forme la plus réaliste et relèvent donc d’une esthétique de cour ; selon d’autres, ces mêmes œuvres sont à lire sur deux registres, le second étant philosophique, ou religieux. Dès lors, les amours terrestres deviennent l’image des rapports dévots de l’âme humaine avec Dieu. iyengar

 

C’est ainsi que la tradition brahmanique fait d’Amaru une incarnation (avatara) du philosophe Shankara (Sankara). Cette assertion peut du moins être utilisée comme point de repère chronologique : Shankara ayant vécu au VIIIe siècle, Amaru lui serait postérieur. Pourtant, tout invite à situer le poète à une époque plus ancienne (VIe ou VIIe s. ?) ; certains font même de lui un contemporain de Kalidasa (IVe-Ve s.).

La traduction ici utilisée est de  A. L. ADUPY (1831)

1. L’amante passionnée

 

Celui dont le nom seul prononcé près de moi excite sur tous mes membres un frémissement involontaire;
Celui dont la vue enchanteresse produit aussitôt sur tout mon corps une sueur froide dont je le sens inondé!…
Oh ! Quand il arrivera, ce maître de ma vie ! …
Quand, les bras jetés autour de mon cou, il me pressera amoureusement sur son cœur!
Je ne le sens que trop, ce reste de fermeté dont je me glorifie encore sera détruit à l’instant.

 

2. L’ambroisie

 

Oui ! Si tu as laissé sur ses lèvres délicates l’empreinte d’un baiser voluptueux, au moment même où, te repoussant doucement de la main, elle te disait du ton de la colère, mais en portant sur toi ses beaux yeux à demi fermés par l’excès du désir : « Laissez-moi, méchant, laissez-moi ! ….. »  Ô heureux mortel, tu peux te vanter d’avoir savouré cette céleste ambroisie que les dieux abusés ont vainement cherchée par l’agitation des flots de la mer.

 

Pour peu que l’on soit versé dans la mythologie indienne, on sait , n’en pouvoir douter, que la production de l’amritam (ambroisie) fut le résultat du barattage de l’Océan , au moyen de la montagne Mandara, comme moulinet, soutenue en équilibre sur le dos convexe de Vichnou, métamorphosé en tortue. On sait aussi que le grand serpent Vdsouki , employé en guise de corde , servait à mettre ce moulinet en rotation , grâces aux efforts réunis des dieux et des démons ‘qui tiraient alternativement et sans relâche l’énorme reptile , les premiers par la queue , et ceux-ci par la tête ou les têtes, car il en avait au moins mille. yoga iyengar

 

3. Le raccommodement


Ce couple boudeur, dos à dos sur la même couche, les lèvres closes, tout ce qu’ils ressentent d’amour l’un pour l’autre caché soigneusement au fond de leur cœur, et gardant chacun son quant-à-soi le plus gravement du monde….. Voyez comme insensiblement ils se recherchent du coin de l’œil, comme leurs regards viennent à se confondre, comme ils sentent mollir leur colère, comme ils s’enlacent tout-à-coup dans leurs bras amoureux !

4. La puissance des larmes


Sans s’attacher aux franges de sa robe, sans étendre la main pour empêcher sa sortie, sans tomber à ses pieds, sans avoir même prononcé ce simple mot : « Demeure ! » elle jette seulement sur lui ses beaux yeux pleins de tristesse ; et cet amant dont le temps le plus affreux ne pouvait arrêter le départ, voilà qu’il se sent tout-à-coup retenu par les larmes de sa maîtresse comme par un fleuve débordé. yoga

 

5. Le comble de la volupté


Qu’au sein des plus vives voluptés, les boucles de ses cheveux flottant dans le plus aimable désordre, ses pendans d’oreille retentissant dans leur choc rapide, le front légèrement humecté de petites gouttelettes brillant de tout l’éclat des perles les plus pures, ta maîtresse tourne languissamment vers toi ses beaux yeux fatigués de volupté…..

Dis-moi, que pourraient de plus pour toi les Dieux ?

 

6. La fausse fierté


Chère enfant ! — Seigneur ! — Abandonne, de grâce, ce petit ton mêlé à la fois d’orgueil et de colère.

—    Eh bien! Qu’y trouvez-vous à redire ?

—    Mais l’état de gêne et d’ennui où il nous met tous deux ! …

—    Oh ! Je me trouve à merveille comme cela, et ne me plains pas, moi, de votre humeur…

—    En ce cas, je suis donc le seul à souffrir : mais, s’il en est ainsi, pourquoi ces larmes que je vois rouler dans tes yeux ? Pourquoi, dans ta voix, cette altération qui décèle un chagrin secret que tu veux en vain contenir en ma présence ?…

—    Oh! Il n’est que trop vrai ! Ingrat, dis-moi sans feinte, que suis-je pour toi ?

—    L’amie la plus chère. yoga iyengar

—    Hélas, non ! Je ne la suis pas, et voilà la cause de mes pleurs.

 

7. Le conseil intéressé


Peux-tu laisser ainsi gémir à ta porte un serviteur aussi dévoué?… Hélas ! Autant vaudrait pour lui qu’il écrivit sur le sable ces lignes charmantes qu’il t’adresse dans sa douleur; et que tu te plais à faire répéter en riant à ce maudit perroquet ! Crois-nous, il est tems de faire trêve à cette sotte indifférence, qui, tant pour toi que pour nous, est une source de misère et d’ennuis. yoga

 

8. L’épreuve


« Voyons ce que j’y gagnerai ! » et je me mis à faire le cruel… « Quoi ! sera-t-il dit que le traître ne me parlera pas ! … » Et elle fit la fâchée. Nous voici donc tous les deux les yeux baissés et nous boudant….. Moi, réduit à former du bout des lèvres un sourire affecté; et elle, laissant bientôt échapper de véritables larmes, qui triomphèrent à l’instant de ma feinte rigueur. yoga kundalini

 

9. Le charme du naturel


Un pauvre mari vient-il à commettre la plus légère faute ? Son épouse, gâtée par les perfides conseils des femmes qui l’entourent, vole aussitôt lui débiter les leçons qu’elle en a reçues, et dans sa colère elle veut en agir avec lui en conséquence, espérant ainsi le maîtriser, comme si l’Amour lui avait remis en main tout son pouvoir ! …..


Non, non ! Cet aimable dépit que dictent la nature seule à une jeune fille ingénue, charmante dans sa simplicité, voilà le doux empire auquel on ne peut résister ! yoga

La suite bientôt…

10. Le faux serment


Non ! Que l’Amour brise mon cœur en mille pièces, qu’il change mon embonpoint en maigreur ! C’est décidé, ma chère amie ; je ne veux plus rien avoir à faire avec le perfide ! … Mais elle a à peine fait ce serment dans l’excès de son dépit, que déjà elle jette un regard impatient sur la route par où doit venir celui qui lui est encore plus cher que la vie.


11. La fausse prude


Placé à ses côtés sur le même sofa, son amant lui tient-il les plus tendres discours ? Cette maîtresse intraitable, contre l’ordinaire en pareil cas des autres personnes de son sexe, détourne la tête avec dédain et s’emporte.


Mais si, lassé enfin de ses manières désespérantes, son amant vient à garder le silence ! … « Eh quoi ! Aurait-il donc l’effronterie de dormir ! » Se dit-elle aussitôt : et voilà notre belle qui, plus offensée encore par ce silence, incline doucement le cou de son côté y et jette sur lui des regards où se peignent tout à la fois le dépit et l’amour.


12. L’heureuse témérité


Oh ! trop heureux le mortel qui , pour un léger manque de respect, reçoit de sa maîtresse un coup d’un pied mignon , tout étincelant de diamants et de perles, légèrement coloré de rose, délicat comme un tendre bourgeon, et privé de forces par l’excès du désir… Certes, l’Amour n’a pas de plus cher favori !


Deux articles indispensables à la toilette des femmes asiatiques ont été célèbres dès la plus haute antiquité : l’un, le collyre (le Surmèh des Persans), poudre noire extrêmement fine, composée, en grande partie, d’oxide de zinc, qu’elles posent, par coquetterie, sur le bord de leurs paupières , au moyen d’un léger pinceau dont elles prolongent le trait un peu au—delà de l’angle extérieur de l’œil , ce qui donne à la fois à leurs regards un mélange exquis de vivacité et de langueur ; l’autre, une espèce de couleur vermeille, extraite du Lacvsonia inermis (le henna des Arabes), ou bien encore la laque pure (Idkchâ) dont elles se teignent les ongles et les doigts , tant des mains que des pieds ; ayant ceux-ci presque toujours découverts, ou à peine protégés par de légères sandales, qu’elles ne prennent que fort rarement, et seulement quand elles sont forcées de quitter leurs sofas où elles passent , mollement couchées , leur vie presque toute entière.

On conçoit donc que leurs pieds doivent être d’une délicatesse charmante; et cette image, loin d’avoir rien de choquant pour l’esprit du lecteur, ne lui offrira plus, au contraire, qu’un petit tableau extrêmement gracieux.


13. La peine perdue


En présence de cette figure enchanteresse, j’ai soin de détourner la mienne, d’abaisser mes regards sur mes pieds; fait-il entendre cette voix touchante qui porte le trouble dans l’aine ? Mes oreilles sont aussitôt bouchées sans rémission : si j’éprouve un frémissement involontaire, si une rougeur subite se répand sur mes joues, je la dérobe à l’instant sous mes doigts étendus… Mais comment faire, ô mes douces compagnes, puisque alors tous les points de mon corset se brisent impitoyablement avec bruit ?


14. Le portrait


Cette belle à l’œil grand et bien fendu, à la prunelle vive et pétillante ; au sein large, élevé, rebondi ; aux reins souples et admirables ; à la démarche molle et gracieuse ! …..

Oh ! La voilà bien, cette maîtresse charmante qui dispose en souveraine de ma vie.


« Cette belle aux reins souples et admirables. »

 

Le lecteur, pour peu qu’il ait de finesse, sentira bien que les reins sont mis là pour tout autre chose; chose que notre langue trop timide ne nous permet pas d’exprimer par son nom propre, et par laquelle , cependant, les Grecs , moins scrupuleux que nous , n’ont pas craint de qualifier la plus belle de leurs déesses.

Les Arabes jouissent de la même liberté dans leur langue, et l’épithète de Tzakil-el-ârdâf, généralement employée par leurs poètes, lorsqu’il s’agit de décrire les charmes en question, répond à la lettre à celle de Prithou-nitamba­bharâ, qui fait partie de notre texte; d’où , pour le dire en passant , il est naturel de conclure que c’est une des faces sous lesquelles les différents peuples de l’Asie se sont plu, d’un commun accord, à envisager la beauté.


15. La colère


Satisfaite des marques que ses ongles avaient imprimées sur mes joues, le regard furieux, elle s’échappe de mes bras dans un accès de jalousie.

« Où vas-tu ? Où vas-tu? » Lui dis-je, en la retenant par le pan de sa robe.

— « Laissez-moi, laissez-moi ! » me dit-elle, les yeux gonflés de larmes …

Ah ! Les reproches enchanteurs qui s’échappèrent alors de ses lèvres balbutiantes de dépit ! … qui jamais pourrait les oublier ?


16. La juste punition


O cœur inconstant ! As-tu donc pu congédier avec tant de froideur un amant que tu t’étais plu toi-même à recevoir que tu avais souffert à tes pieds, t’implorant les yeux humides de volupté …

 

Eh bien ! Dès ce moment, éprouve à tout jamais le sort bien mérité des femmes cruelles et colères : que, condamnée à ne plus voir se lever pour toi l’aurore du bonheur, tes yeux soient incessamment noyés des larmes du repentir !


17. La fidélité à l’épreuve


Pauvre innocente, quoi ! Dans l’excès de ta simplicité, consentirais-tu donc à sacrifier ainsi les plus beaux instants de ton existence à un seul amant qui te trahit peut-être ? ….. Allons, ma chère, un peu de hardiesse : quelle folie de se piquer d’une fidélité à toute épreuve ! Allons donc, du courage ! ….. « Paix, paix ! » répond à sa perfide conseillère la jeune fille tout effrayée ; « Prends garde : ce maître de ma vie qui repose là dans mon cœur va t’entendre ! ….. »


18. La simplicité


« O trop charmante amie, loin de toi cet air courroucé ! Vois, j’embrasse tes genoux. Hélas ! Je ne t’ai jamais vue dans un pareil accès de colère !…». Ainsi s’exprimait l’infidèle, et, dans sa simplicité, la jeune fille, détournant le visage, laisse tomber de ses yeux à demi fermés d’abondantes larmes, et sent expirer le reproche sur ses lèvres frémissantes.

 

19. La première nuit

 

« Il dort : dors à ton tour, ô notre douce amie… » Ainsi me dirent mes compagnes, et elles me laissèrent. Et moi, remplie de l’amour le plus pur, et dans toute mon innocence, j’approche doucement mes lèvres de la joue de mon jeune époux. Aussitôt je le sens frémir, et je reconnais que le traître faisait semblant de céder au sommeil ….. Oh! Que je devins honteuse ! Eh bien, il parvint insensiblement à dissiper ma frayeur.

 

20. La sensibilité


« D’où vient, ô ma belle, cette langueur, ce tremblement que je remarque dans tous tes membres, cette pâleur mortelle, répandue sur ton front et tes joues ?

 

— Ce n’est rien, ce n’est rien : cet état m’est naturel ! … ».

 

Mais l’infortunée n’a pas plus tôt prononcé ces paroles qu’elle se détourne, et donne en sanglotant un libre cours aux pleurs dont le poids surchargeait ses paupières abattues.


21. L’amant effronté


— Crois-tu donc, par ce faux air de soumission, me fasciner les yeux ?….. N’aperçois-je pas là, sur ta poitrine, ces marques que, dans vos étreintes amoureuses, y a imprimées le sein d’une indigne rivale ! …..

 

— Que dis-tu? Que dis-tu? M’écriai-je, sans lui laisser le temps d’achever; et, pour effacer ces taches indiscrètes, je la presse aussitôt avec force contre mon cœur, et lui fais perdre la mémoire par l’excès du plaisir.


22. La noble fierté


Les larmes, les reproches, les plus tendres instances, les prières : tels sont les moyens que les autres femmes emploient pour retenir un époux prêt à les abandonner. Pour moi, ô maître souverain de ma vie, je te dirai seulement : yoga

—    Va, puissent les destins t’accorder d’heureux jours loin de moi. Va! Mais bientôt tu auras à regretter ce pur amour, cet amour tel que tu en étais digne, et à jamais perdu pour toi.


23. Le désordre du matin


Vois, ô ma chère, comme, dans ses caresses réitérées, il a dispersé de tous côtés la poudre éclatante du santal que j’avais disposée avec tant d’art sur mes joues et mon sein. Vois, comme le duvet de cette malheureuse couche, d’où l’amour a pris soin de chasser le sommeil, a été impitoyablement affaissé sous un double poids. Vois ces lèvres encore fatiguées du nombre des baisers qu’il leur a pris; ce dernier voile mis en pièces par les ornements précieux qui relevaient encore la grâce de son pied agile. Quoi ! Faut-il donc que, nous autres femmes, nous en passions par tout ce que veut un libertin ?


24. La nécessité des larmes


Cette jeune fille, si longtemps l’objet unique de ton adoration, de tes constantes caresses, et envers laquelle, par je ne sais quelle fatalité, tu viens de te rendre pour la première fois coupable d’une légère infidélité ; n’espère pas réussir à calmer son dépit par les protestations les plus tendres. Crois-moi, le seul moyen qu’il te reste à prendre dans ce moment, c’est, quoi qu’il en coûte à ton cœur, de lui laisser donner un libre cours à ses larmes


25. L’heureux expédient


Nuit de délices, où, loin de tout témoin indiscret, la jeune amante a pu s’abandonner sans réserve aux désirs du séducteur. Quelles caresses ! Quelles brûlantes expressions ! Mais au point du jour qu’aperçoit-elle?… L’oiseau parleur, qui a tout entendu. O ciel! Et voici la duègne qui survient, il va tout lui redire pour sa bienvenue!… Que fait la rusée ? Elle détache à l’instant de ses pendans d’oreilles quelques rubis tranchant qu’elle mêle adroitement avec les grains de grenade préparés pour le déjeuner du ba­billard, et trouve ainsi le moyen de lui clore le bec à jamais.


 

Déjà ci-dessus (pièce septième) nous avons eu un exemple de la passion des jeunes Indiennes pour le perroquet. Cependant, un autre oiseau parleur, la  Sâriâd, espèce de geai (Gracula religiosa, Mainate), probablement à cause de l’excessive volubilité de sa langue, jouit, auprès d’elles, d’une faveur bien plus grande. C’est même une Sâricâ qui joue un des principaux rôles dans le Ratnâvalî , l’un des drames indiens que nous a fait connaître le savant Wilson ; et dans le Méghâ-doûta , nous voyons la jeune épouse du Yakcha, exilé par l’ordre de l’inexorable Couvéra, chercher à diminuer les ennuis du veuvage, en s’entretenant de son époux avec sa docile Sâricâ , qui semble se complaire à lui en répéter le nom chéri.

On pourrait aussi trouver, dans cette petite pièce, un trait de caractère d’un autre genre; y voir, par exemple, une jeune fille qui, toute troublée et confuse à la vue de l’oiseau parleur, lui supposerait, dans sa simplicité, assez de jugement et d’éloquence pour la trahir dans un discours suivi ; et c’est sous ce point de vue, je crois , que l’a envisagée le commentateur. Le lecteur pourra choisir entre ces deux tableaux.


26. La perle des femmes


D’abord, elle jette sur lui un regard plein d’une douleur muette, puis elle joint les mains et le conjure, ensuite elle s’attache au pan de sa robe ; enfin, elle l’embrasse avec l’expression de l’amour le plus pur….. Mais, sentant que rien ne peut toucher le cruel, toujours déterminé à l’abandonner, elle quitte alors la vie, puis son bien-aimé !


27. La rusée


Après quelques jours d’une absence cruelle, le voyageur chéri arrivant tout-à-coup un soir enflammé de désir ; et les femmes dont l’amante se trouvait alors entourée prolongeant, dans l’intention de faire briller leur esprit, une conversation mortelle….. Ah ciel ! Qui me pique ainsi? S’écrie tout-à-coup la rusée dans son impatience; et agitant en même temps brusquement le voile léger qui la couvre, du vent qu’elle produit elle éteint le flambeau importun.


28. La résignation


Il est donc décidé que tu me délaisses ! Eh bien, trève de ces vains souhaits de bonheur. Va, va! Tu n’es pas coupable ! Je le sens, le destin seul m’est contraire !…

Hélas! Puisque c’est ainsi que tu m’aimes, quel prix pourrait encore avoir à mes yeux une vie infortunée qui, de sa nature seule, est déjà si fragile ?


29. Le regret


« Hélas ! Pourquoi ne l’ai-je pas enlacé amoureusement dans mes bras, petite sotte que j’étais ? Pourquoi, lorsqu’il me demandait avec tant d’ardeur un simple baiser, avoir détourné mes lèvres de ses lèvres brûlantes? Pourquoi ne pas lui avoir jeté même un regard, adressé la moindre parole?….. » Tels sont les reproches amers que se fait à elle-même, en songeant à son insensibilité passée, la jeune fille à laquelle l’amour vient de se révéler.


30. Naïveté


Pars donc ! Mais en grâce, mon ami, que je te voie de retour avant le quart, la moitié, les trois quarts, ou la fin du jour tout au plus… » Touché par cette prière naïve qu’accompagnaient de profonds soupirs et de grosses larmes , l’amant , sur le point d’entreprendre un voyage de plusieurs mois , ne se sent plus la force de partir.


31. La discrétion


Son bandeau, taché de laque au-dessus du front, le cou portant encore l’empreinte qu’y a laissée le bracelet de perles d’une maîtresse dans ses étreintes amoureuses, les lèvres teintes de collyre, les yeux rouges de bétel : voilà l’étrange parure dans laquelle l’infidèle se présente à son épouse au lever de l’aurore.


Que fait-elle? Dans sa douleur muette, elle prend une fleur de lotus, comme pour en respirer le parfum, mais pour lui confier en effet les soupirs étouffés qui s’échappent de son sein.


Je puis bien, pour la satisfaction du lecteur , lui rappeler que, les femmes Indiennes étant dans l’habitude de se teindre les paupières de collyre, les lèvres de notre jeune effronté ne pouvaient porter cette cou­leur sans l’avoir ravie à de beaux yeux, par des baisers répétés; et que ses yeux rouges de bétel devaient également trahir les nombreux baisers qui y avaient été déposés par les lèvres amoureuses d’une maîtresse ; les femmes Indiennes faisant particulièrement leurs délices de cette plante dont les feuilles, mêlées avec un peu de chaux vive et de la noix d’arèque pulvérisée, teignent leur bouche du rouge le plus vif en lui communiquant tout à la fois un parfum qui appelle le baise, Protaloumenon filema, selon l’expression d’Anacréon.

Voilà ce que je puis expliquer au lecteur : mais , quant à la laque dont est taché le bandeau, circonstance qui bien plus vivement encore que les autres devait aggraver, aux yeux de la pauvre femme, l’outrage de son infidèle, je me garderai bien de lui en dire le pourquoi : seulement je me contenterai de le renvoyer à l’une des petites pièces précédentes (la douzième) intitulée : Le Favori de l’Amour, ou plutôt à la note qui s’y rapporte , où il verra que c’est à teindre leurs jolis pieds, que la laque est employée par les femmes Indiennes ; laissant ensuite it son imagination le soin d’arranger ensemble tout cela.


32. L’amant soumis


« La haine, ô ma belle, a donc pris décidément dans ton cœur la place de l’amour ! … Eh bien ! Soit : puisque tu le veux, il faut bien s’y soumettre. Mais rends-moi, je te prie, avant notre rupture, toutes les caresses que je t’ai faites, et tous les baisers que je t’ai donnés. »


33. L’étonnement


Toute tremblante encore et toute honteuse des premières caresses du bien-aimé, la nouvelle épouse, les yeux baissés, peut à peine raconter à ses femmes, qui l’écoutent en souriant, comment le traître, feignant, par un salut modeste, de se retirer, et lui ayant ainsi inspiré la plus douce confiance, l’enlace tout-à-coup avec fureur dans ses bras nerveux, et met tout au pillage, sans pitié, comme le plus farouche ennemi.


34. L’illusion


Seule, accablée de tristesse, à la chute du jour, à travers les ombres du crépuscule qui commencent à se répandre sur la terre, elle vient aussi loin que la vue peut encore s’étendre de mesurer toute l’étendue du chemin qui la sépare de son époux, chemin coupé par mille ravins qui retardent à chaque pas la marche du voyageur. Elle regagne lentement son habitation déserte : mais elle a à peine fait un seul pas qu’elle se retourne vivement, et dans son impatience s’imagine déjà le surprendre près d’elle.


35. La mélancolie


«Eh bien, ma belle, détermine toi-même, par le clignement de tes yeux, le nombre de jours que devra durer mon voyage.

—    Bien, bien ! Je puis imprimer encore aujourd’hui un mouvement à mes tristes paupières, mais je sens qu’il cessera au moment de ton départ.

—    Mais ne dois-je donc pas revenir ? Et à mon retour ! …

—    Oh ! Que ceux qui y seront éprouveront alors de joie !

—    Allons, enfant que tu es, dis-moi, que puis-je te rapporter qui te soit agréable ?

—    Un peu d’eau puisée aux étangs consacrés ! … »


36. La coquetterie

Elle me fait un salut compassé, et retire aussitôt ses jolis pieds sous les franges de sa robe, avec toute la froideur imaginable. Lui vient-il un sourire sur les lèvres ? Avec quel art elle le dérobe à mes yeux ! … N’attendez pas qu’elle m’adresse un regard. Si je me hasarde à parler, aussitôt elle rompt mon discours en s’adressant à ses femmes… Oh ! Puisse cette maîtresse charmante conserver long-tems avec moi cette aimable fierté oh je puise mille délices.


37. L’impatience


« Oh ! Si tu savais, mon amie, combien tu es belle sans aucun voile ! … » Et d’une main impatiente l’amant cherchait, en se jouant, à dénouer une ceinture importune…

Cependant les femmes qui avaient accompagné la jeune fille dans l’asile de la volupté, s’éloignent prudemment, en voyant le plaisir étinceler dans ses yeux, mais non sans lui avoir donné à l’oreille quelques avis dictés par la malice elle-même.


38. L’imprécation


O jour! Que tu es beau parfois à mes yeux ! Et toi, nuit, que tu me désespères ! Mais parfois aussi, a nuit ! Que tu es belle pour moi ! Et toi, jour, que tu fais mon supplice ! …

Ah ! Puissiez-vous tous deux être à jamais anéantis, si vous ne deviez plus me laisser jouir des caresses du bien-aimé.


39. Le triomphe


Le sein affaissé à la suite de mes caresses réitérées, tous ses membres dans un doux abandon, frémissant de volupté, son dernier voile tout en désordre, tombé dans nos transports amoureux : « Ah! Ah ! Ah! Trop charmant ami, finis, de grâce, c’est assez ! » Me dit-elle d’une voix étouffée ; et ces mots sont suivis du plus profond silence…. Eh quoi ! Pensai-je alors, serait-elle donc morte, ou simplement endormie? Serait-elle absorbée dans la méditation, ou pâmée de plaisir?


40. L’influence du Zéphir


Chargé des émanations parfumées du nénuphar, qui s’épanouit à l’envi au lever de l’aurore, voyez comme le zéphyr printanier enlève, de son souffle rafraîchissant, les petites perles qui brillent éparses sur les joues animées de la beauté; voyez comme il se joue avec grâce parmi les boucles ondoyantes de ses cheveux, semblables à des lianes flexibles ; voyez comme il soulève voluptueusement le voile léger de la jeune amante, dont il ranime les forces que vient de lui faire perdre l’Amour.


41. La fatalité


Il faut voir avec quel soin, depuis longtemps, j’imprime à mes sourcils l’air le plus sévère, j’éloigne de mes yeux toute apparence de langueur ; j’interromps tout-à-coup, par un air grave, un sourire indiscret, que je surprends sur mes lèvres, je m’impose le plus dur silence ; je m’attache à endurcir mon cœur, je serre fortement ma ceinture contre mon sein !….. Mais hélas ! Avec tout cela, la réussite est dans les mains du destin!…


42. Sur une nouvelle épouse


Cette nouvelle épouse au regard tendre comme celui de la gazelle, aux cuisses fermes et polies comme la tige du bananier, à la taille svelte et déliée, à la gorge incomparable ! …..

N’est-ce pas pour servir au sacre de l’Amour lui-même, que son sein commence à se remplir de la plus douce ambroisie ?


43. L’embarras

 

Cet amant effronté que j’ai congédié dans un moment de colère, et qui a eu la cruauté de s’éloigner aussitôt : si le traître revenait, accompagné d’une hardiesse nouvelle, dis-moi, ma chère, que dois-je faire alors ?

 

44. Le baiser

 

Depuis qu’altéré d’amour j’ai puisé sur ses lèvres la divine ambroisie, ma soif a redoublé d’ardeur. Mais dois-je m’en étonner, il y avait tant de sel dans ce baiser-là !


45. L’offrande


Au lieu du lotus azuré, elle lui offre son doux regard ; au lieu de lis, elle lui découvre dans son sourire l’émail de ses dents éblouissantes ; au lieu du vase destiné aux offrandes, elle lui présente son sein palpitant d’amour ! ….. C’est ainsi que, dans ses charmes seuls, l’amante trouve à fêter l’arrivée du voyageur chéri.

 

« Au lieu de lis, elle lui découvre, dans son sourire, l’émail de ses dents éblouissantes..

L’expression du texte “coundajdi” que j’ai rendue par lis, n’est pas, à proprement parler, le nom de cette plante en sanscrit, mais celui d’une espèce de jasmin (J. multflorum ), toujours présentée par les poètes indiens comme l’emblème par excellence de la blancheur.

 

J’ai donc cru pouvoir remplacer cette fleur par le lis consacré chez nous au même usage, et cela avec d’autant plus de raison que ce roi des liliacées reconnaît, comme on le sait, l’Inde pour sa patrie.

 

Quant à l’idée de cette petite composition que je ne balance pas à mettre au rang des plus belles de ce recueil, elle repose sur les mœurs hospitalières des Indiens, qui, à l’arrivée d’un bote, s’empressent de lui offrir de l’eau pour lui laver les pieds, des fruits, des fleurs ou autres choses semblables. La charmante scène du premier acte de Sacountald, relative à la réception de Douchmanta, par l’héroïne de la pièce, aidée de ses compagnes, nous présente l’application la plus aimable de cet an­tique usage.

 

A la suite de ce morceau si rempli de naturel qu’on le croirait dicté par les Grâces elles–mêmes, peut–être y aura–t–il quelque chose de pi­quant à en présenter un autre qui a avec lui une sorte d’analogie, mais qui brille seulement par l’esprit. Cette comparaison, d’ailleurs, entre deux morceaux, l’un dû au génie indien, l’autre à l’esprit persan, pourra, mieux peut–être qu’une longue et savante dissertation, fournir au lecteur un trait caractéristique de la manière différente de sentir des deux peuples.

 

Idole chérie ! Toi, dont les beaux yeux ont la forme gracieuse de l’amande, dont la bouche, dans son sourire, ressemble à la noix parfumée d’Alep légèrement entr’ouverte, dont les lèvres ravissantes ont toute la douceur du sucre le plus pur ! Sais-tu quel remède tu pourrais apporter aux maux intolérables que me fait endurer l’amour?….. Ce serait de m’accorder une nuit, où, jusqu’au lever de l’aurore, tu me verserais à longs traits le vin enivrant du plaisir, en y joignant, pour stimuler ma soif, la pistache, l’amande et le sucre le plus doux !

 

46. La protégée de l’amour


« Où vas-tu donc ainsi, fille charmante, au milieu de la nuit ?

—  Je vole où m’attend celui qui m’est plus cher que l’existence.

—  Quoi ! Toute seule, et tu n’éprouves aucune crainte ?

—  Eh ! N’ai-je pas pour compagnon de voyage l’Amour aux flèches acérées ?


47. L’éloquence du regard

 

Cet œil languissant, humide d’amour, qui souvent se ferme à demi ; tantôt levé, tantôt baissé par un aimable sentiment de pudeur : cet œil qui trahit si éloquemment tout ce qui se passe dans ton âme !….. Quel est, fille charmante, l’heureux mortel sur qui tu daignes le fixer ?


48. Le feu de l’amour


Le feu de l’amour qui, jusque dans les guirlandes de fleurs, les pétales du lotus ami de l’onde, dans des vêtements humides, dans les gouttes de rosée que distillent les frais rayons de la lune, dans l’essence du santal, trouve de nouveaux aliments pour activer sa flamme, comment espérer jamais de l’éteindre ?


49. Le ravissement


Tout occupée à jouir à la fois et de sa figure ravissante, et de sa douce voix, je ne puis distinguer si c’est dans mon ouïe seule, ou dans ma vue que toutes les puissances de mon âme se trouvent confondues.


50. Le collier de perles


Voyez comme ce collier de perles descend avec grâce, et se joue sur le sein de la beauté ! … Si tel est le partage d’un simple joyau, quel sera donc le nôtre, à nous esclaves dévoués à l’Amour ?


51. La plainte


Que faire ?… à qui se plaindre ?… Hélas ! Il n’est plus de Rama au monde ! Quel autre encore pourrait être sensible à la séparation d’une amie !


« Hélas! il n’y a plus de Rama au monde. »

En faveur des personnes peu versées dans la littérature indienne, je dois dire en peu de mots que ce Rama, auquel le poète fait ici allusion, fut un héros des toms anciens de l’Inde, regardé, à cause de ses hauts faits, comme une incarnation de Vichnou. Il dut particulièrement sa célébrité à la guerre qu’il fit au tyran de Laucâ (Ceylan), le farouche Râvana , pour recouvrer son épouse Sitâ qu’il lui avait indignement en­levée. Cet événement, non moins fameux dans les annales de l’Inde que le rapt d’Hélène dans celles de la Grèce, a, comme ce dernier, auquel il ne serait pas impossible qu’il fût antérieur *, donné naissance à un poème épique, digne en bien des points de soutenir la comparaison avec celui d’Homère.

 

Cette célèbre épopée, connue sous le nom de Râmâyana, est attribuée à un certain Valmtki, contemporain de son propre héros, le premier poète de l’Inde, tant sous le rapport du mérite que sous celui de l’ancienneté, puisqu’il passe pour être lui-même l’inventeur de la poésie chez les Indiens.

Mais, pour en revenir à la simple stance qui a occasionné cette note, n’est-ce pas une de ces perles que le joaillier juge assez brillantes par elles-mêmes, pour les présenter isolées à nos regards, sans avoir besoin, pour les faire ressortir, de les unir à d’autres dans un même collier ? Quant à nous, ces petites boutades poétiques ont toujours fait sur notre es­prit une impression délicieuse; telle, entre autres, cette pensée de Sapho que nous avons essayé de reproduire dans cette traduction sanscrite :


 

Déjà la lune est descendue derrière les montagnes occidentales, déjà l’orient se colore des premiers feux du jour : et tu le vois, cruel Amour ! Je languis tristement sur ma couche solitaire!!…


Telles sont encore les petites pièces suivantes qui font partie d’une anthologie persane inédite, extrêmement variée, que nous avons recueillie dans les écrits des poètes les plus célèbres de la Perse, et qui pourra faire un jour pendant à celle-ci, si le public l’accueille avec quelque faveur.

 

 

Je sens crouler la base de mon existence. Parfums enivrons de la volupté, brillant coloris de l’Amour, comment orneriez-vous encore pour moi le séjour enchanté des désirs ? Hélas ! Ce n’est donc plus pour moi que l’ambroisie s’exhale de vos douces lèvres, filles séduisantes de Cachemire? Jeunes beautés de Nauchâd, vos seins d’albâtre ne palpiteront donc plus pour moi ! …..


 

Le Destin dirige ainsi le frêle esquif de mon existence : suis-je heureux ? il déploie toutes les voiles ; suis-je dans l’infortune ? il jette » l’ancre. »

 

Cette nuit un nectar délicieux pétille dans ma coupe. Cette nuit mes amours reposent sur mon cœur. 0 nuit ! Retarde, je t’en conjure, le retour de l’aurore. Assez de fois tu as été témoin de ma douleur solitaire : protège donc une fois mon bonheur !


 

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Toutes les fois que je m’entretiens avec mon cœur de tes injustices sans nombre, je me résous à oublier jusqu’à ton nom, à effacer jus­qu’au moindre signe qui pourrait te rappeler à mon souvenir ; mais » lorsque je tourne les yeux sur ce visage enchanteur, je me dis : Et pourquoi refuserais-je de souffrir pour elle ?

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