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Le yoga révélé …

Voici un commentaire de la “Çvetâçvâtara-Upanishad” par Ralph Stehly (professeur d’histoire des religions, Université Marc Bloch, Strasbourg) que nous mettons décidément à contributions sur ce site. Bien que nous ne soyons pas grand yogi nous-même, nous jugeons ce texte important en ce qu’il éclaire sur le propos réel du Yoga dans son contexte originel. Quelque soit les considérations sur le Yoga et les bienfaits qui sont susceptibles de s’en produire, ou bien on reste dans l’idéologie consumériste de la bonne santé – avec ce qu’elle dissimule de négation de la mort -, ou bien on accepte d’être confronté à tout autre chose, en l’occurence, une métaphysique et une finalité sotériologique.

NB: nous avons raccourcit le texte pour en faciliter la lecture. Vous pouvez consulter le texte complet en suivant ce lien …

Avec la Çvetâçvâtara-Upanishad (versets de 1.13 à 2.15), nous voyons s’opérer sous nos yeux la transition entre la conception matérielle du sacrifice et la conception d’un sacrifice purement spirituel : le yoga. L’ Upanishad veut marquer la continuité entre le sacrifice traditionnel (rite, extérieur, impliquant le collectif) et le sacrifice intériorisé du yoga. La traduction, sauf mentionné autrement,  est celle d’Aliette Silburn (coll. Les Upanishads n° 7, Paris, Librairie d’Amérique et d’Orient Adrien-Maisonnneuve, 1948).

Brahmin en plein rite
Upanishad signifie « assis par terre aux pieds du Maître »

1.13.

De même que  la forme matérielle du feu caché dans sa source n’est pas visible, bien qu’il n’y ait pas disparition de sa forme subtile et qu’elle peut être saisie à la source du combustible. Il en est ainsi dans les deux cas : [l’âtman doit être saisi] dans le corps  par la syllabe om (trad. Ralph Stehly).

Peut être saisie à la source du combustible” signifie “peut devenir visible” et “Dans les deux cas” signifie, l’âtman devenu visible, et l’âtman auparavant invisible. Cette métaphore, comme beaucoup de métaphores philosophiques en sanskrit, peut sembler parfaitement obscure au premier abord, mais devient fort éclairante, quand on y regarde de plus près.yoga

L’étincelle produite par la friction des deux bâtonnets (yoni, l’inférieur, et indhana, le supérieur) est comparée à l’âtman. Avant que l’étincelle ne jaillisse de manièrevisible, elle était présente de manière invisible, latente, dans la yoni, le bâtonnet inférieur. De la même manière, l’âtman, qui est généralement latent en nous dans le corps,  nous pouvons le faire advenir, le faire venir à la conscience par des exercices appropriés, ici la répétition du mantra om. Il y a donc homologation, identification de l’âtman à l’étincelle qui embrase le feu sacrificiel et la friction des bâtonnets qui est à l’origine de ce jaillissement à la répétition du mantra. Le sacrifice qui suit est donc homologué au yoga. Le yoga est un sacrifice qui doit faire jaillir l’âtman.yoga

1.14

En faisant de son propre corps le bois de friction intérieur et de la syllabe Om le bois de friction supérieur, par la pratique de cette friction qu’est la méditation, on peut voir Dieu comme on verrait quelque chose de caché.

Ici l’homologation entre rituel du sacrifice et yoga est encore plus clair. La méditation est une friction et le but (théiste) est de “voir Dieu”, défini plus tard comme Shiva. Ce verset est repris dans la Dhyânabindu-upanisad (20): ” Faisant de son propre corps le bois de friction (inférieur), et du son Om le bois de friction supérieur, par la friction de la méditation l’adepte voit Dieu, comme le feu caché dans le bois”yoga

1.15

Comme l’huile dans le sésame, le beurre dans le lait, l’eau dans les rivières, le feu dans les bois de friction, ainsi il trouve en lui-même  [dans son corps, ou dans son propre soi] l’âtman [universel], celui qui le cherche au moyen de la vérité et de l’ascétisme ( trad. Ralph Stehly)

Ici encore on nous dit que l’implicite est caché dans l’explicite, comme l’huile est présente potentiellement dans le sésame. Une autre idée est qu’en trouvant son propre âtman, on trouve le Brahman.yoga

1.16

Il verra partout l’âtman comme le beurre dans le lait, s’il s’enracine dans le contrôle de soi-même et la connaissance de soi-même (….) (trad. Ralph Stehly).

L’âtman est présent virtuellement ou potentiellement partout, comme le beurre dans le lait.yoga

Barattage du lait, Inde, ca 1950

Dans les versets suivant il faut distinguer deux parties: de 2.1 à 7, hymne au dieu Savitar et de 2.8 à 15, développement sur le yoga. Nous ne retenons ici que les développements sur le yoga.

 

8. Tenant son corps ferme aux trois parties dressées, faisant entrer dans le cœur les sens et la pensée, un sage avec la barque du brahman traverserait tous les fleuves effrayants.

Les trois parties sont le tronc, la tête et le cou d’après le passage parallèle de la Bhagavad-Gîtâ  6.13s :

” Là, la pensée ramassée en une seule pointe, maîtrisant ses opérations mentales et sensorielles, installé sur son siège, qu’il s’unifie dans la discipline unitive en vue de se purifier , maintenant  affermi, le corps, la tête et le cou au même aplomb et dans l’immobilité, le regard concentré sur la pointe de son nez, sans le laisser porter en différentes directions, l’âme apaisée, exempte d’angoisse, fidèle à l’observance de la chasteté, discipline unitive……”

faisant entrer dans le cœur les sens avec le manas“: c’est la rétraction des sens (pratyâhâra) et la “barque du Brahman” désigne le yoga, ” les fleuves effrayants” désigne  “les renaissances” (réincarnations).

9. Ayant comprimé les souffles dans le corps, en réglant les mouvements, il faut que vous respiriez par les narines avec un souffle réduit ; comme un véhicule attelé avec de mauvais chevaux, le sage doit réprimer sa pensée [stabiliser son manas] sans distraction.

Le sanskrit de ce verset est : ” prânân prapîdyeha (prapîd: “retenir) samyukta-ceshta (mouvements) kshîne prâne (“respiration ralentie) ” nasikayocchvasît (nâsika au duel + çvasrespîrer“). Il faut donc traduire: “retenant les souffles dans le corps en contrôlant les mouvements“.

10, Qu’on pratique le Yoga dans un (lieu) uni et pur, privé de cailloux, de feu et de sable, agréable au sens interne par des sons, de l’eau, etc., qui ne déplaise pas à l’œil, protégé du vent par une dépression (du sol).yoga

Ainsi dans la Bhagavad-Gîtâ (6.10s) il est dit: “L’ascète doit se recueillir sans cesse, retiré à l’écart, solitaire, contrôlant son esprit, n’aspirant à rien, dépossédé de tout, après s’être ménagé sur un emplacement purifié un siège stable, ni trop élevé ni trop bas, recouvert d’une étoffe, d’une peau d’antilope ou d’herbe sacrée., qu’il se tienne dans cette posture tendu vers moi “.

Dans la Yoga-tattva-upanisad (de 32à 35): Pour contrôler efficacement ses souffles, l’adepte avisé se bâtira une hutte munie d’une petite porte, mais dépourvue d’autres ouvertures. Le sol en sera bien nettoyé et arrosé d’urine de vache ou de jus de citron, afin d’en éliminer tous insectes, moustiques, ou vermine. La hutte sera balayée chaque jour, on y fera brûler de l’encens, elle ne sera ni trop haute, ni trop basse. L’adepte étendra à terre un tapis, une peau d’antilope, ou une litière d’herbe; il s’y installera en prenant la posture du Lotus, et s’efforcera de contrôler ses souffles…yoga

11. Le brouillard, la fumée, le soleil, le feu, le vent, les insectes phosphorescents, les éclairs, le cristal, la lune sont les aspects préliminaires qui produisent, dans le Yoga, la manifestation du brahman.

Ce sont les phénomènes lumineux qui jalonnent les étapes de la méditation yoguique. La mention de ces phénomènes confirme le caractère technique et expérimental de la tradition secrète transmise par cette Upanishad (cf. M. Eliade, p. 128). Les phénomènes auditifs sont décrits en détail dans la Nâdabindu-upanisad. Par le son entendu dans la posture siddhâsana et qui le rend sourd à tout bruit venant du monde extérieur, le yogin obtient en quinze jours l’état turîya. Au début, les sons perçus sont violents (pareils à ceux de l’océan, du tonnerre, des cascades), puis ils prennent une structure musicale (de cloche, de cor) et finalement l’audition devient très fine (sons de vînâ [luth], de flûte, d’abeille). Le yogin doit s’efforcer d’obtenir des sons aussi subtils que possible, car c’est le seul moyen pour lui de progresser dans la méditation. En dernier lieu, le yogin éprouvera expérimentalement l’union avec le Parabrahman qui n’a pas de son (açabda). Cet état méditatif ressemble probablement à un état cataleptique, puisque le texte affirme que “le yogin demeure comme mort, c’est un délivré (mukta)”. Son corps est comme “un morceau de bois; il ne sent ni chaleur, ni froid, ni joie, ni douleur ” (M. Eliade, p. 137).yoga

Un yogi, Inde, ca 1930

12. Quand la quintuple qualité du Yoga a été produite en surgissant de la terre, de l’eau, du feu, du vent et de l’espace, il n’y a plus ni maladie, ni vieillesse, ni mort pour celui qui a obtenu un corps fait du feu du Yoga.

C’est probablement déjà une technique de méditation où chacune des cinq parties du corps est mise en relation avec les cinq éléments cosmiques (cf. Yoga-tattva-upanisad), de façon à produire une transmutation du corps du plus grossier au plus fin ou au plus subtil. Le corps fait du feu du yoga, c’est le corps transfiguré, transmuté par les exercices yoguique. Il y a ici une volonté très claire de dépasser la condition humaine. Voici les extraits correspondants de la Yoga-tattva-upanisad (verset 84 à 104 dans la traduction de Jean Varenne, légèrement modifiée):

Les cinq éléments sont la Terre, l’Eau, le Feu, l’Air et l’Ether: en rapport avec eux, il existe une fixation de la pensée s’exerçant sur les cinq Dieux Brahma, Vishnou, Rudra,  Îçvara et Sadâshiva, dite pour cela ” La Quintuple Fixation “.  Voici en quoi elle consiste :

Dans le corps de l’adepte, la part comprise entre pieds et genoux relève de l’élément Terre; la Terre est carrée, et de couleur jaune; elle est symbolisée par la syllabe LAM. L’adepte fait entrer le souffle dans la part de son corps relevant de Terre en association avec le son LAM ; il médite alors sur Brahma, le Dieu couleur de l’or à quatre visages et quatre bras, tout en tenant son souffle pour cinq fois vingt-quatre mesures. Par ce moyen, l’adepte se rend maître de l’élément Terre et se protège de la mort sur terre.

 

Dans le corps de l’adepte, la part comprise entre genoux et anus relève de l’élément Eau. L’Eau a la forme d’un croissant de couleur blanche; son symbole est la syllabe VAM : l’adepte fait entrer le souffle dans la part de son corps relevant de l’Eau en association avec le son VAM. Il médite alors sur Vichnou Nârâyana, le Dieu à quatre bras, qui porte un diadème de cristal et une robe de soie blanche  tout en retenant son souffle pour cinq fois vingt-quatre mesures, ainsi est il lavé de ses péchés, l’eau ne présente plus de danger pour lui et il se protège de la mort dans l’eau.

 

Dans le corps de l’adepte, la part comprise entre l’anus et le cœur relève de l’élément Feu. Le Feu a la forme d’un triangle, il est de couleur rouge, et son symbole est la syllabe RAM : l’adepte fait entrer le souffle dans la part de son corps relevant du Feu en association avec le son RAM. Il médite alors sur Rudra le Dieu qui a trois yeux,  qui exauce toute prière, et resplendit comme le soleil levant. Méditant sur ce Dieu gracieux dont le corps est couvert de cendres, l’adepte tient son souffle pour cinq fois vingt-quatre mesures: par ce moyen, l’adepte est à jamais protégé du feu et son corps, jeté dans un brasier, ne s’y consumerait pas.

 

Dans le corps de l’adepte, la part comprise entre cœur et sourcils relève de l’élément Air. L’Air a la forme d’un hexagone, il est de couleur noire et son symbole est la syllabe YAM: l’adepte fait entrer le souffle dans la part de son corps relevant de l’Air en association avec le son YAM. Il médite ensuite sur Îçvara, l’omniscient, l’omniprésent et tenant son souffle pour cinq fois vingt-quatre mesures. Par ce moyen, l’adepte acquiert la possibilité de se mouvoir dans l’espace aussi librement que l’air. L’air n’a plus de danger pour lut

 

Dans le corps de l’adepte, la part comprise entre les sourcils et le sommet de la tête relève de l’élément Éther. L’Éther a la forme d’un cercle et est de couleur bleutée, son symbole est la syllabe HAM. L’adepte fait entrer le souffle dans la part de son corps relevant de l’Éther avec le son HAM. Il médite alors sur Shiva, le Dieu de majesté, l’Auspicieux qui a l’apparence d’une goutte-de-lune et ressemble à l’Éther lui-même. Il médite sur Sadâshiva, couleur de cristal limpide, dont la tête s’orne d’un croissant de lune; sur le Dieu à cinq têtes, dont chaque visage a trois yeux; sur le Dieu dont les bras sont dix tenant des armes et ornés de joyaux; sur le Dieu dont le corps est pour moitié celui d’Umâ, sur le Dieu qui exauce les prières, oui, sur Shiva, cause première de l’univers, il médite en tenant son souffle. Ainsi gagne-t-il le pouvoir de voyager dans les espaces cosmiques, jouissant en quelque lieu qu’il s’arrête d’une béatitude sans fin

 

Ainsi doit-on pratiquer la Quintuple Fixation: par elle, on obtient un grand renom, il n’y a plus de mort pour l’adepte qui la pratique car rien dès lors ne peut l’atteindre même si l’univers vient à se dissoudre !

Sri Ramakrishna en extase, Inde, Calcutta, 1879

13. Légèreté, santé, absence de désirs, clarté de teint, excellence de voix, agréable odeur, diminution des excrétions, on dit que c’est là le premier effet du Yoga,

Les effets du yoga sont commentés dans la Yoga-tattva-upanisad (des versets 45 à 56): ” il deviendra ténu, lumineux, le feu de la digestion brûlera plus fort et il perdra du poids ” (45), ” il ne dormira que très peu, éliminera un minimum d’excrétions, sera préservé d’hémorragies, de bavement, sueurs profuses, mauvaises odeurs et autres ” (56). Dans la Dhyanabindu-upanisad (versets 74 & 81) est mentionné l’ “Absence de désirs” (la liberté par rapport au désir)yoga

14. De même qu’un miroir terni par l’argile brille à nouveau de tout son éclat quand il est bien nettoyé, de même l’être incarné lorsqu’il a contemplé la vraie nature du Soi recouvre l’unité, atteint son but, est libéré de douleur

Le terme “nettoyé” souligne que les exercices du yoga sont conçus comme une purification interne. Le miroir, c’est l’âtman qui est terni par l’incarnation, par son lien avec les éléments grossiers tandis que “l’être incarné”, c’est l’âtman incarné qui retrouve son unité avec le Brahman. Il y a aussi ici l’idée d’une transformation intérieure.

15. Mais quand, se concentrant, au moyen de la vraie nature du Soi comme au moyen d’une lampe, on éclaire la vraie nature du brahman, (le brahman) non-né, inébranlable, parfaitement purifié de tous les principes, on est alors libéré de tous liens, on a reconnu le dieu.

Le sens de ce vers c’est que le yoga permet de découvrir le Brahman purifié de tous les tattva-s, c’est-à-dire de tous les éléments qui proviennent de l’évolution de la prakriti (la matière-énergie primordiale).yoga

Très beau yogi sur une patte, Inde, ca 1956

Interprétation

Ce texte de la Çvetâçvâtara-Upanishad est un très bel exemple de l'intériorisation de la notion de sacrifice, de comment on a réinterprété la notion de sacrifice, de façon à présenter le yoga comme un sacrifice intérieur, en utilisant pour le décrire des termes propres au langage védique: corps fait du feu du yoga ``agni``; la méditation est comparée à la friction des baguettes qui allument le feu du sacrifice, l'âtman étant présent en l'homme de manière latente comme l'est l'étincelle dans la baguette qui sert à l'allumage du feu par friction, ou en introduisant la description du yoga par des hymnes utilisées dans les sacrifices védiques.

Le point commun de toutes ces images, de toutes ces homologations, de toutes ces identifications, c’est la notion de chaleur. Chaleur se dit en sanskrit tapas au double sens de chaleur physique et d’ardeur ascétique, d’effort ascétique, d’austérités. Mais le tapas, au sens de discipline ascétique, est déjà présent dans certains rites védiques. Cela a facilité d’autant sa reprise dans le yoga. Le tapas faisait partie à l’origine du rite de la dikshâ, rite de consécration exigé du commanditaire du sacrifice du soma `{`boisson d’immortalité`}` et de sa femme. Ce rite de consécration comportait une veillée auprès du feu, une méditation dans le silence, un temps de jeûne, sur une période d’un jour à un an. Cela se passait dans une hutte, symbole de la matrice qui fait du retraitant, au sortir de la hutte, un homme régénéré.

L’idée sous-jacente à tout cela est que la chaleur est créatrice : selon Aitareya-Brâhmana (5.32.1), Prajâpati créa le monde en s’échauffant à un degré extrême par l’ascèse, le tapas. Mais il y a mieux encore. Prajâpati lui-même était le produit du tapas: selon la Taittiriya-Brâhmana (2.2.9.1-10), au commencement (agre), le non-être se fit esprit (manas) et s’échauffa (atapyata), en donnant naissance à la fumée, à la lumière, au feu et finalement à Prajâpati.

En réalité, donc, il y a solution de continuité entre le rituel védique ancien d’une part, et les techniques ascétiques et contemplatives de l’autre: tout cela fait partie du même continuum. En effet, ce tapas qui s’obtient par le jeûne, par la veillée auprès du feu s’obtient aussi par la rétention du souffle (voir dans Baudhâyana-dharma-sûtra, 4.1.24) qui est un exercice typiquement yoguique. Le lien entre le rituel védique et le yoga est tellement réelle que la rétention du souffle commence à jouer un rôle dans le rituel védique dès l’époque des Brâhmana (600 av. JC): lorsqu’on chante la Gâyatrî, on ne doit pas respirer. C’est encore la règle maintenant.

Le lien se retrouve encore à un autre niveau: le tapas obtenu par le prânayama fut assimilé explicitement à un sacrifice. Si dans un sacrifice védique on offre aux dieux le soma, du beurre fondu et le feu sacré, dans la pratique yoguique on leur offre un “sacrifice intérieur” dans lequel certaines fonctions physiologiques se substituent aux libations. La respiration est ainsi identifiée à une libation ininterrompue. Le Vaikhânasa-smârta-sûtra (2.18) parle de prânâgnihotra, c’est-à-dire du “sacrifice quotidien du prâna”. Dans la Kaushîtaki-upanisad (2.5), le prânâyama est asimilé à l’une des plus illustres variétés de sacrifice védique, l’agnihotra : “Ils nomment le prânâyama agnihotra intérieur”.

Tant qu’il parle, l’homme ne peut pas respirer, et alors il offre la respiration à la parole; tant qu’il respire, il ne peut pas parler, et alors, il offre sa parole à la respiration.

Ce sont là les deux oblations continuent et immortelles; dans la veille et dans le sommeil, l’homme les offre sans interruption. Ce qui veut dire que ce dont on s’abstient, est donc offert en sacrifice.

De cette chaleur intérieure, on en parle aussi dans le yoga tantrique. On nous dit dans les textes que le réveil de la Kundalinî provoque une chaleur intense et sa progression à travers les cakra-s se manifeste par le fait que chaque partie traversée par la Kundalinî devient brûlante (cf . Mirce Eliade, Le Yoga, immortalité et liberté, p.245). Si bien que dans certaines formes de yoga, on en est venu à estimer le degré d’avancement sur le chemin du yoga à l’intensité de la chaleur qu’il développe par l’exercice du tapas. Notamment au Tibet, on estimait le degré de préparation d’un disciple d’après sa capacité à sécher, à même son corps nu et en pleine neige, un grand nombre de draps trempés durant une nuit d’hiver. Cette chaleur intérieure porte en tibétain le nom de gtum-mö (pr. tum-mö).

Ce texte de la Çvetâçvâtara-Upanishad est un très bel exemple de l’intériorisation de la notion de sacrifice, de comment on a réinterprété la notion de sacrifice, de façon à présenter le yoga comme un sacrifice intérieur, en utilisant pour le décrire des termes propres au langage védique: corps fait du feu du yoga “agni“; la méditation est comparée à la friction des baguettes qui allument le feu du sacrifice, l’âtman étant présent en l’homme de manière latente comme l’est l’étincelle dans la baguette qui sert à l’allumage du feu par friction, ou en introduisant la description du yoga par des hymnes utilisées dans les sacrifices védiques.

Le point commun de toutes ces images, de toutes ces homologations, de toutes  ces identifications, c’est la notion de chaleur. Chaleur se dit en sanskrit tapas au double sens de chaleur physique et d’ardeur ascétique, d’effort ascétique, d’austérités. Mais le tapas, au sens de discipline ascétique, est déjà présent dans certains rites védiques. Cela a facilité d’autant sa reprise dans le yoga.

Le tapas faisait partie à l’origine du rite de la dikshâ, rite de consécration exigé du commanditaire du sacrifice du soma [boisson d’immortalité] et de sa femme. Ce rite de consécration comportait une veillée auprès du feu, une méditation dans le silence, un temps de jeûne, sur une période d’un jour à un an. Cela se passait dans une hutte, symbole de la matrice qui fait du retraitant, au sortir de la hutte, un homme régénéré.

L’idée sous-jacente à tout cela est que la chaleur est créatrice : selon Aitareya-Brâhmana (5.32.1), Prajâpati créa le monde en s’échauffant à un degré extrême par l’ascèse, le tapas. Mais il y a mieux encore. Prajâpati lui-même était le produit du tapas: selon la Taittiriya-Brâhmana  (2.2.9.1-10),  au commencement (agre), le non-être se fit esprit (manas) et s’échauffa (atapyata), en donnant naissance à la fumée, à la lumière, au feu et finalement à Prajâpati.

En réalité, donc, il y a solution de continuité entre le rituel védique ancien d’une part, et les techniques ascétiques et contemplatives de l’autre:  tout cela fait partie du même continuum. En effet, ce tapas qui s’obtient par le jeûne, par la veillée auprès du feu s’obtient aussi par la rétention du souffle (voir dans Baudhâyana-dharma-sûtra, 4.1.24) qui est un  exercice typiquement yoguique.

Le lien entre le rituel védique et le yoga est tellement réelle que la rétention du souffle commence à jouer un rôle dans le rituel védique dès l’époque des Brâhmana (600 av. JC): lorsqu’on chante la Gâyatrî, on ne doit pas respirer. C’est encore la règle maintenant.

Le lien se retrouve encore à un autre niveau: le tapas obtenu par le prânayama fut assimilé explicitement à un sacrifice. Si dans un sacrifice védique on offre aux dieux le soma, du beurre fondu et le feu sacré, dans la pratique yoguique on leur offre un “sacrifice intérieur” dans lequel certaines fonctions physiologiques se substituent aux libations. La respiration est ainsi identifiée à une libation ininterrompue. Le Vaikhânasa-smârta-sûtra (2.18) parle de prânâgnihotra, c’est-à-dire du “sacrifice quotidien du prâna”. Dans la Kaushîtaki-upanisad (2.5), le prânâyama est asimilé à l’une des plus illustres variétés de sacrifice védique, l’agnihotra : “Ils nomment le prânâyama agnihotra intérieur” .

Tant qu’il parle, l’homme ne peut pas respirer, et alors il offre la respiration à la parole; tant qu’il respire, il ne peut pas parler, et alors, il offre sa parole à la respiration.

Ce sont là les deux oblations continuent et immortelles; dans la veille et dans le sommeil, l’homme les offre sans interruption. Ce qui veut dire que ce dont on s’abstient, est donc  offert en sacrifice.

De cette chaleur intérieure, on en parle aussi dans le yoga tantrique. On nous dit dans les textes que le réveil de la Kundalinî  provoque une chaleur intense et sa progression à travers les cakra-s se manifeste par le fait que chaque partie traversée par la Kundalinî devient brûlante (cf . Mirce Eliade, Le Yoga, immortalité et liberté, p.245). Si bien que dans certaines formes de yoga, on en est venu à estimer le degré d’avancement sur le chemin du yoga à l’intensité de la chaleur qu’il développe par l’exercice du tapas. Notamment au Tibet, on estimait le degré de préparation d’un disciple d’après sa capacité à sécher, à même son corps nu et en pleine neige, un grand nombre de draps trempés durant une nuit d’hiver. Cette chaleur intérieure porte en tibétain le nom de gtum-mö (pr. tum-mö).

Alexandra David-Neel dans “Mystiques et magiciens du Tibet” écrit:

Des draps sont plongés dans l’eau glacée; ils y gèlent et en sortent raides. Chacun des disciples en enroule autour de lui et doit les dégeler et les sécher sur son corps. Dès que le linge est sec, on le replonge dans l’eau et le candidat s’en enveloppe de nouveau. L’opération se poursuit ainsi jusqu’au lever du jour. Alors celui qui a séché le plus grand nombre de draps est proclamé le premier du concours.

Alexandra David-Neel dans “Mystiques et magiciens du Tibet” écrit:

Des draps sont plongés dans l’eau glacée; ils y gèlent et en sortent raides. Chacun des disciples en enroule autour de lui et doit les dégeler et les sécher sur son corps. Dès que le linge est sec, on le replonge dans l’eau et le candidat s’en enveloppe de nouveau. L’opération se poursuit ainsi jusqu’au lever du jour. Alors celui qui a séché le plus grand nombre de draps est proclamé le premier du concours.

Lachen Gomchen Rinpoche en méditation, Népal (photo : Alexandra David Neel)

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