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Vie de Sengai

Gibon Sengai (1750-1837) était le troisième fils d’une famille de paysans de la province de Mino, au centre du Japon. A onze ans, l’âge habituel de l’initiation dans les temps anciens, on lui rasa la tête et il revêtit la robe du moine. A dix-neuf ans, son maître lui proposa d’entreprendre l’angya, un pèlerinage qui consiste à aller d’un maître à un autre. Durant ce genre de périple, si le jeune homme pense qu’il a trouvé un maître qui lui convient, il reste. Dans les faits, le choix a souvent été fait avant d’entreprendre le voyage. Sengai s’était lui fixé sur un des grands maîtres de son temps, Gessen Zenji, qui vivait à Nagata, à proximité de l’actuel Yokohama.

Une hutte solitaire se dresse au milieu de la forêt,
la porte est fermée même durant le jour.
Le jardinier a entièrement nettoyé le jardin, n’y laissant pas la moindre trace de poussière.
Il a la faiblesse de tenir les choses parfaitement propres,
mais il ne pouvait pas empêcher que le chat y laisse ses crottes.

La légende dit que Sengai pénétra le Zen lorsqu’il eut saisi le sens d’une vieille histoire attribuée à Kyôgen (Hsian­gyen en chinois), maître légendaire de l’époque Tang (Chine, 618 – 907) ; ce récit est connu sous le nom de “l’homme sur l’arbre”: “Voici un homme qui se tient suspendu par les dents à la branche d’un arbre. Survient un moine qui lui pose une question concernant le grand principe du Bouddhisme. Si l’homme ne répond pas à la question du moine il n’est pas un pieux disciple du Bouddhisme. S’il ouvre la bouche pour parler, il tombera immanquablement sur le sol. Quelle est votre solution dans cette situation critique? Parlez! Parlez!

 

Ce genre d’histoire censé brusquer l’auditeur dans une impasse logique est couramment utilisé dans le zen : par exemple, “Si vous appelez cela un bâton, cela le confirme (littéralement: cela s’y rapporte). Si vous n’appelez pas cela un bâton, cela le nie (littéralement: cela se détourne). Comment l’appelez-vous ? Parlez vite!” (la rapidité n’a rien à voir avec le sens de la question mais la plupart d’entre nous perdent du temps à délibérer et à réfléchir pour aboutir à une solution conceptuelle or le Zen disparaît dans la conceptualisation ou l’abstraction).aikido

Peut-être Sengai a-t-il répondu qu’il est très impoli de poser une question a quelqu’un qui a la bouche pleine, on ne sait pas, en tout cas, lorsque Gessen mourut, il y avait treize ans que Sengai était auprès de lui. Il partit alors pour une seconde angya pendant laquelle il aurait parcouru tout le centre et le nord du Japon et visité divers monastères. Il habita un certain temps dans la province de Mino, sa province natale. Mais les conditions politiques qui y régnaient ne lui convenant pas, il la quitta de nouveau. Il reçut alors une invitation pour se rendre à Hakata (Fukuoka), dans l’île de Kyushu (sud du Japon), où son senior moine-ami qui avait aussi eu Gessen Zenji pour maitre, était à la tête d’un temple. Sengai, qui avait quarante ans à cette époque, avait accepté l’invitation et il s’établit à Shôfukuji, temple placé sous le patronage d’un certain Kuroda, le seigneur du lieu. Shôfukuji est la première institution zen fondée au Japon (en 1195) et Sengai en devient par la suite le cent-vingt-troisième abbé depuis la fondation.

 

En 1811, à soixante-deux ans, il résigna sa charge d’abbé de Shôfukuji et passa les vingt années suivantes, ou environ, comme homme libre. C’est pendant cette période qu’il fut, de la façon la plus active, un ami du peuple, employant son talent artistique unique à exprimer avec esprit et humour sa profonde compréhension du Zen. Il avait quatre-vingt-huit ans lorsque s’acheva sa vie heureuse.

Sengai était réputé pour son détachement, la simplicité de ses mœurs et son humaine bienveillance. En 1803, sous le règne de l’empereur Kôkaku, une corporation de hauts fonctionnaires ecclésiastiques décida, sur l’ordre de l’empereur, d’accorder une robe de pourpre à Sengai, alors âgé de cinquante-cinq ans. L’officier le pressa d’accepter cette distinction si hautement prisée, en soulignant que l’honneur qui lui était conféré rejaillirait sur la secte zen tout entière. Mais Sengai refusa, disant qu’il était contraire à ses principes d’accepter une distinction officielle et que son désir était de terminer sa vie comme un simple moine vêtu de loques noires.

 De nombreuses légendes ont cours à son sujet. L’une des plus appréciées relate la façon dont il vint en aide à un jeune moine de son monastère. Sengai s’aperçut un jour qu’un de ses jeunes disciples avait l’habitude de quitter secrètement le monastère pendant la nuit et d’y rentrer tout aussi discrètement au petit jour. Un matin, alors que le coupable escaladait la barrière derrière le monastère et cherchait du pied la pierre qui, de l’autre côté, lui servait d’escabeau, il eut l’impression que la pierre, au lieu d’être froide et dure, était cette fois douce et tiède. Arrivé sans encombre de l’autre côté, il reconnut aussitôt la forme accroupie de son maître Sengai qui voulait de cette façon donner un appui sûr au jeune moine. Le moine était envahi par la honte. Mais ce qui importait à Sengai c’est que le jeune homme soit revenu sain et sauf, et il lui conseilla de rejoindre sans bruit son quartier. On dit que ce pécheur devint plus tard un moine modèle et qu’il fut toujours reconnaissant envers son maître pour son “moyen habile” (upaya kausalya en sanscrit).

 Sengai était de petite taille, même pour un japonais, et il se surnommait lui-même shikoku saru, un singe de la province de Shikoku connue pour les singes minuscules qui y vivent. “Sengai”, parfois abrégé en “Gai” est l’azana (surnom) sous lequel il est le plus connu mais son nom de famille est Gibon. Souvent, lorsque la fantaisie lui en venait il signait ses calligraphies, ses dessins à l’encre de Chine, ou ses figures d’argile Hyakudô (cent-cabanes), Kyohaku (vide-blanc), Muhûsai (sans­règles-étude), Amaka Oshû (A-ma-ha prêtre) etc.

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